Hier soir, le Voleur d'Eternité est passé

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Hier soir, le Voleur d'Eternité est passé 

 

Hier soir,

le Voleur d’Eternité est passé…

pendant que la Lune, elle,

me soufflait l’équation du bonheur.

 

 La nuit m’a murmurée à l’oreille qu’il n’y avait pas de honte à préférer le bonheur. Je la contemplais, dans son immensité obscure. D’où allait-il arriver ? Le savait-elle ? Ne pouvait-elle pas me le dire ?

Il approchait. Je le savais. Amusée par mes songes et confortablement installée dans le ciel, la Lune ne m’en dit rien. Mais elle me souffla mystérieusement l’équation du bonheur.

Le Marchand de Sable ne passerait pas cette nuit-là. Il ne passait jamais plus la veille des dix-huit ans d’un Humain, trop effrayé par le Voleur d’Eternité. Tout le monde était aux aguets dans la pièce d’à côté. Prêt à l’attraper ou au pire à le faire fuir, en ce jour spécial où les enfants cessent de grandir, et ne deviennent pas adultes. Cela dure depuis cent ans. Tout avait commencé le jour où les Humains avaient pris possession du Temps. Plus personne ne mourrait depuis. Plus personne ne vieillissait à partir de la veille de ses 18 ans. Plus grand monde ne naissait non plus depuis la naissance de cette obsession planétaire. Les gens cachaient leurs sentiments. La Mort était devenue la plus grande crainte. Une mort accidentelle. Une mort provoquée par la haine d’un voisin. Une mort bête. Une mort qui viendrait rompre l’éternité. Ça arrivait… C’était rare, mais ça arrivait. La confiance était une vertu que les Humains ne possédaient plus. Depuis, ils vivaient en solitaire. D’où le peu de naissances. L’unique jour de rassemblement était celui de la veille des 18 ans d’un Humain. Le Voleur d’Eternité était un démon collectif. Pire que la Mort, disait-on, puisqu’il venait pour voler le Temps éternel que nous possédions désormais. Personne ne savait ce qui arrivait à ses victimes…

Mais cette histoire de Temps commence encore un siècle plus tôt. En 2014, pour être exact. L’année où la troisième guerre mondiale a éclaté. Elle a duré cent ans. Des milliards de vies y ont été sacrifiées… A l’époque, la nouvelle lubie humaine était d’acquérir le contrôle du Temps… Mais tout le monde ne pouvait pas vivre pour l’éternité…

Parler de cette guerre passée est tabou. Le passé est tabou. Les morts aussi… Tout…

Plus une seule pensée n’est accordée aux générations futures non plus. La seule obsession de nos jours : ne pas mourir. Vivre pour toujours…

Je m’appelle Maëlle. J’habite dans un hameau du nord de la France. Un tout petit village comme tant d’autres par-delà le monde… Demain, j’aurai 18 ans, mais, si les dires sont vrais, je ne les atteindrai pas. Le Voleur d’Eternité sera vaincu –ou du moins repoussé– une fois de plus, et je resterai pour toujours dans l’année de mes 17 ans.

Les Humains se sont emparés du Temps après un siècle de destruction massive et, il paraîtrait que depuis lors, nous ne nous comptions plus en milliards, mais en millions. Ce sont les rumeurs qui courent. Nous vivons en paria, comme tout le monde ailleurs. Maintenant que nous pouvons vivre pour toujours, nous devons faire bien attention à ne pas mourir par mégarde. La peur de la fin n’en est que plus poignante.

Aujourd’hui, nous sommes en 2214. Les derniers adultes, vainqueurs de la guerre, ne sont déjà plus. La pause dans le Temps n’a pas marché pour eux. Il était trop tard pour toutes celles et ceux qui étaient passés à l’âge adulte. Nous nous souvenons d’eux en tant que Patriarches. Nous les commémorons, mais nous n’en parlons jamais.

Ce soir, comme tous les jeunes de mon âge, j’attends le passage du Voleur d’Eternité qui sévit dernièrement par-delà le monde. Mais, allongée sur mon lit que je n’ai pas défait, je ne scrute plus le ciel à sa recherche. Je fixe la Lune... D’une expression muette et figée, je la prie de me dessiner les attraits du bonheur.

Ce bonheur que nous ne ressentons pas…

Cette peur que l’on nous inculque depuis la naissance me fatigue. Est-ce si désagréable de vieillir ? Est-ce si mal de s’éteindre après avoir vécu autant que l’on a pu ? Vivre pour toujours, est-ce mieux que de vivre tout court ? Peut-on vivre si l’on ne meurt pas ? Peut-on vivre dans la peur constante que la mort nous attrape par mégarde ?

La Lune n’a pas émis le moindre murmure face à ma complainte nocturne. Elle est restée là. Immobile. Au milieu du ciel étoilé. Figée dans l’éternité. Empruntant continuellement le même chemin. Changeant de visage uniquement grâce à la lumière du soleil.

La Lune ne pouvait rien me dessiner de plus, tout était là. Elle me le fit réaliser. Le bonheur était au bout de mon nez.

La peur disparut peu à peu. Pour la première fois, je ne craignais point la nuit comme on me l’avait enseigné. Pour la première fois, l’immensité qui me faisait face me coupa le souffle par sa beauté. Je me levai alors pour me diriger vers la fenêtre. Tendant les mains aussi haut que je le pouvais, vers les étoiles. Une myriade de points scintillait dans les cieux tels des lampions incandescents représentant les générations passées.

Je ris. Le monde devenait plus beau de seconde en seconde. Comme si l’on m’offrait la vue après que j’eus passé une vie en aveugle.

La fatigue me gagnait et je me retournai vers mon lit quand une ombre gigantesque s’articula sur le mur. Le Voleur d’Eternité était arrivé. Il ne m’effrayait plus. Ainsi, ne criai-je pas pour alerter les Humains en faction dans la pièce d’à côté.

Mais l’ombre qui se détachait sur le mur n’était point celle d’un quelconque Voleur d’Eternité… c’était la mienne. Cependant, elle ne m’imitait plus. Elle dansait, libérée de mes mouvements. Libre. Heureuse. A quelle farce s’adonnait donc la Lune ? Elle dont la lumière blanche projetait à sa guise mon ombre sur le mur…

Le mythique Voleur d’Eternité n’était donc que la peur des jeunes en âge de cesser de grandir ? La peur d’être une exception face à l’éternité ? Et la Lune s’en était jouée depuis lors, accédant en toute simplicité aux quatre coins du monde. Une bonne leçon pour les Humains trop désireux…

Elle essayait pourtant juste de nous montrer le chemin du bonheur. Une équation simple qu’elle m’avait soufflée au début de la nuit : l’éternité n’est pas faite pour les Humains.

Je suis née à 18 ans. Le jour où les enfants sont supposés cesser de grandir. Selon les rumeurs, je suis la première vraie victime du Voleur d’Eternité, mais je ne fus pas la dernière ! Le Temps se libère de l’emprise des Humains, qui recommencent désormais à vieillir. Une nouvelle ère commence.

La pitié que je lis sur les visages de ceux que je croise ne m’atteint pas. La nuit m’a murmuré à l’oreille que le bonheur n’est pas une destination à atteindre dans la vie, mais bel et bien le chemin que l’on emprunte jour après jour. Le bonheur de l’instant présent.

Elle m’a aussi soufflé le secret de la vie des Humains : on naît pour vivre, on vit pour mourir un jour, on meurt pour que d’autres puissent naître et vivre à leur tour, jusqu’à ce qu’ils meurent pour en laisser vivre d’autres.

 

©‎ 2014 - MC

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